Martin Hirsch : « Sept propositions pour une démocratie plus différenciée, plus personnalisée, plus participative »
Tribune. Nos sociétés, nos démocraties, sont mises à rude épreuve par une contradiction fondamentale. D’un côté, la montée de l’individualisme, la fragmentation des groupes sociaux, la perte de légitimité des représentations. De l’autre, l’impératif de réponses collectives face aux principaux défis d’aujourd’hui : le réchauffement climatique, la lutte contre les pandémies, la préservation de la paix et de la protection sociale, la lutte contre les déficits, la compétition internationale.
Cette contradiction, nous la voyons à l’œuvre, exacerbée en temps de Covid-19, avec la question suivante : pour sauver des vies, des restrictions temporaires de liberté peuvent-elles s’appliquer à tous, à une minorité ou à personne ? Et cette liberté peut-elle être conditionnelle, soumise à un passe sanitaire ou vaccinal ? Cette contradiction entre individualisme et enjeux collectifs en révèle une autre : la difficile conciliation dans une démocratie du fait majoritaire et de la reconnaissance des minorités. La démocratie se doit de protéger les minorités – ethniques, culturelles, cultuelles et d’opinion – et l’expression minoritaire, sans pour autant que le fait majoritaire soit mis à mal par un blocage minoritaire.
La montée de l’individualisme et le sentiment de non-reconnaissance des individus par ceux qui les représentent ont plusieurs traductions : la faible participation aux scrutins professionnels et, de plus en plus, la montée de l’abstention dans les scrutins politiques ; le rejet des réformes qui répondent à un intérêt général, dans lequel une partie de la population ne se reconnaît pas ; la rhétorique antisystème, le « système » étant considéré comme incapable de reconnaître les individus et perçu comme la confiscation de l’intérêt général par un sous-groupe occulte.
La solidarité liée à l’appartenance à une catégorie déterminée est amoindrie, parce que ces catégories sont moins homogènes, se différencient moins nettement, ont moins de références idéologiques communes. Les réseaux sociaux, au sens traditionnel du terme (appartenance à une association, à une communauté, à un quartier, à une entreprise), sont beaucoup moins puissants et remplacés par les réseaux sociaux virtuels qui, au lieu de cultiver un dessein partagé, renforcent l’individu dans sa singularité ou dans des appartenances superficielles ou fictives.
Outre l’abstention et le rejet des représentations traditionnelles, la montée de l’individualisme trouve son débouché dans les réponses populistes. Les populistes savent mieux répondre à cette « pulsion individualiste », en écartant l’autre, en facilitant l’identification des individus à ceux qui briguent leur suffrage, en récupérant les thèmes de défense de l’individu (la sécurité, le rejet des impôts et des taxes, la dénonciation du « système »). Ils rejettent aussi les thèmes collectifs dont ils nient la réalité : le « système » aurait inventé (ou exagéré) la pandémie et le réchauffement climatique. La montée de l’individualisme nourrit l’opposition aux réformes vécues comme une mise en cause des droits et de la situation des individus au nom d’un impératif collectif. Le mouvement des « gilets jaunes » est l’exemple d’un « collectif individualiste », ce qui explique son incapacité à se doter de représentants et même à faire émerger de réelles figures charismatiques, contrairement à d’autres mouvements de protestation au cours des dernières décennies.
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