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Vie spirituelle et Covid : « La pandémie nous oblige à nous demander : qu’est-ce qu’être présent à l’autre ? »

Religieuse dominicaine, Anne Lécu est médecin en prison dans la région parisienne. Elle s’intéresse particulièrement aux questions liées au corps et à l’incarnation.

La pandémie impose une limitation des gestes. De quelle manière cela affecte-t-il notre pratique, notre prière, dans une religion où l’incarnation a tant d’importance ?

Prier avec les autres, cela reste possible avec des masques et une porte ouverte ! En ce qui concerne la célébration catholique par excellence qu’est l’eucharistie, je pense que globalement les gens se sont habitués à être masqués. Évidemment, nous préférerions pouvoir nous toucher et voir nos visages.

Mais personnellement, je préfère être masquée, vaccinée et que l’autre se porte bien, car je trouve cela plus sage. C’est cela le respect de la vie… La présence à l’autre, dès lors que nous pouvons à nouveau nous réunir, ne me semble pas mise en danger dans le culte.

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En revanche, elle est bien davantage abîmée dans la vie quotidienne. Cela passe par le fait de voir les gens moins souvent, de ne pas pouvoir se réunir ou manger ensemble comme avant, ou de se dire que l’on peut contaminer quelqu’un.

Vous mentionnez le respect de la vie. Que nous apprend la pandémie à ce sujet ?

Vie spirituelle et Covid : « La pandémie nous oblige à nous demander : qu’est-ce qu’être présent à l’autre ? »

Elle nous fait nous questionner sur ce que signifie être présent à l’autre. Le confinement ou les restrictions pourraient nous renfermer sur nous-mêmes et nous faire oublier qu’il y a des gens qui sont seuls et qui ont besoin qu’on prenne des nouvelles, y compris par téléphone. Cela me fait prendre conscience qu’il y a des gens vulnérables qu’il faut protéger, ce qui consiste parfois à ne pas aller les voir et parfois, au contraire, à y aller. C’est un équilibre difficile. Cela implique de se parler, plus que jamais.

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Mais notre sens de l’incarnation n’est-il pas bousculé ?

L’incarnation est une présence, et ne renvoie pas seulement au corps dans sa matérialité. La pandémie nous oblige à nous demander : qu’est-ce qu’être présent à l’autre ? Il faut se repositionner, creuser une distance qui ne soit pas une absence. Cette année, par exemple, j’ai écrit de longues lettres à mes amis, ce que je n’avais pas fait depuis longtemps.

Cependant, je comprends que pour les personnes isolées ou en télétravail, l’absence des autres puisse être un cauchemar, car on produit quelque chose quand on est ensemble physiquement. Ceux qui souffrent vraiment, ce sont les parents des jeunes enfants, les professeurs, et pas vraiment les croyants, en soi.

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Le sens du toucher, aussi, est blessé par la distance imposée…

Plus que le toucher, ce qui est blessé selon moi, c’est le fait de respirer, ce qui est plus intime. L’air que nous respirons est potentiellement porteur du virus, et c’est cela qui angoisse le plus les gens. Car respirer c’est vivre, et la peur de respirer est difficile à vivre.

Nous pouvons nous toucher en étant masqués, ce n’est pas un problème. Dans les familles, on peut prendre les enfants dans les bras… En ce qui me concerne, par exemple, j’étais très critique au début sur la télémédecine, car en prison, on commence à nous répéter que pour parer au manque de médecins, les consultations vidéo pourraient être une sorte de solution miracle.

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Je suis convaincue que l’autre doit être présent en face de moi avec ses odeurs, ses gestes et tout ce qu’il est, pour comprendre quelle est précisément sa plainte. Néanmoins, la pandémie a rebattu les cartes, et mieux vaut parfois une consultation à distance chez soi, avec un spécialiste, pour avoir un vrai conseil, qu’attendre trois heures dans une salle glacée. Parfois, entre deux maux, il faut choisir le moindre, et donc accepter d’être à distance. Mais cela ne résout pas le vrai problème.

En quoi ?

Les nouveaux moyens techniques font de plus en plus imaginer des solutions en distanciel… Les détenus peuvent vivre leurs consultations et leur procès en visio, et pourquoi pas leurs parloirs, comme c’est déjà le cas aux États-Unis. Là, il y a vraiment de quoi de quoi devenir fou. À un moment donné, la présence physique de l’autre doit être incontournable.

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