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Cyrille Dalmont est chercheur associé à l'Institut Thomas More (think-tank)


Sans surprise, lors de sa conférence de presse du 25 août dernier, Olivier Véran a annoncé que le passe sanitaire pourrait être prolongé au-delà du 15 novembre «si le Covid ne disparaissait pas de nos vies» avant l'échéance fixée par la loi relative à la gestion de la crise sanitaire du 5 août dernier – ajoutant qu'«il nous faudrait un nouveau texte de loi, qui serait à nouveau débattu au Parlement».

Si elles ont été peu commentées, ces déclarations du ministre de la Santé en disent long sur le déclin sans précédent de la liberté, valeur fondatrice de l'anthropologie occidentale et, partant, de notre modèle politique qu'est la démocratie. Déclin qui va bien au-delà de la seule question du passe sanitaire. Pour le dire rapidement, nos sociétés passent progressivement du principe de liberté à celui de l'autorisation préalable et de l'État de droit à l'état d'urgence permanent, sans susciter beaucoup d'émoi intellectuel ni médiatique.

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Rappelons que la loi relative à la gestion de la crise sanitaire, contenant l'extension du passe sanitaire, avait été examinée au Parlement en procédure accélérée, limitant à la portion congrue le temps du débat contradictoire, sous la pression constante du gouvernement. C'est maintenant le ministre de la Santé seul qui s'autorise à annoncer sa prorogation, comme s'il s'agissait d'une formalité. Il est vrai que la très faible participation des parlementaires (40%) concernant un texte qui, pour la première fois en période de paix, porte une atteinte inédite à l'exercice de plusieurs libertés fondamentales (liberté d'aller et venir, liberté du travail, liberté du commerce et de l'industrie, liberté d'association, liberté de conscience), ne laisse planer que peu de doutes quant à l'issue du futur vote…

Certes, la crise sanitaire n'a fait qu'insister sur un fait déjà connu : l'alignement de la durée des mandats des députés sur celle du président de la République et la suppression du cumul des mandats a fini de transformer le Parlement en simple chambre d'enregistrement des décisions gouvernementales. Certes, l'alignement de la jurisprudence du Conseil Constitutionnel, entamé dès le début de la crise sanitaire, sur la jurisprudence classique du Conseil d'État relative aux «circonstances exceptionnelles», à savoir que «l'existence de circonstances exceptionnelles est de nature à justifier des mesures qui seraient, dans des circonstances normales, considérées comme inconstitutionnelles», est venu confirmer qu'en période d'état d'urgence, quelle que soit sa nature, les contre-pouvoirs prévus par notre État de droit sont désormais inexistants.

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Mais il est bien évident que cette situation n'est pas uniquement la conséquence de la crise sanitaire et de ce gouvernement. Elle découle d'un lent processus de grignotage des libertés publiques et des droits fondamentaux depuis les années 1990 et le renforcement constant de « politiques sécuritaires », toujours plus restrictives des libertés fondamentales de tous (mais rarement efficaces au regard du but recherché). Les lois, ordonnances ou décrets contre l'insécurité, le terrorisme, l'immigration de masse, le blanchiment d'argent, la fraude fiscale ou plus récemment les fake news et les «contenus haineux» sur Internet se comptent par dizaines depuis trente ans. La santé publique et le traçage en temps réel des populations saines ou malades au travers du passe sanitaire n'est finalement que la dernière en date.

Si nous nous sommes efforcés d'alerter à de nombreuses reprises contre la dérive liberticide sans précédent que représente l'obligation d'utilisation d'un outil de tracking et de backtracking de la population pour réaliser des actes de la vie courante dans ces colonnes, force est de constater que des décennies de nihilisme, de déconstruction et peut-être de confort, ont fortement remis en cause le «souci de la liberté», pour parler comme Camus, au pays de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

En effet, nombre de nos concitoyens considèrent que, comme les géants du numérique (GAFAM et BATX) les tracent déjà vingt-quatre heures sur vingt-quatre, cela ne change pas grand-chose si l'État et le gouvernement le font à leur tour. Pire, le rapport d'information de la délégation à la prospective du Sénat de juin dernier ose la formule suivante : «Si une “dictature” sauve des vies pendant qu'une “démocratie” pleure ses morts, la bonne attitude n'est pas de se réfugier dans des positions de principe, mais de s'interroger sur les moyens concrets à la fois techniques et juridiques, de concilier efficacité et respect de nos valeurs»…

À ceux-là nous nous devons de rappeler que, premièrement, les libertés publiques et les droits fondamentaux ont été acquis, au fil des siècles et souvent dans le sang, par les citoyens (nos aïeuls) face aux pouvoirs souverains d'alors (seigneurs féodaux, rois, empereurs, États), mais jamais face à des entreprises privées, si puissantes soient-elles, qui restent soumises à la souveraineté des États et ne disposent pas de la force régalienne. Et deuxièmement, que jamais une dérive autoritaire, ni dictatoriale, moderne ne s'est imposée de manière spontanée, mais toujours de manière progressive et toujours au motif de protéger la liberté, la nation ou la démocratie. Que restera-t-il demain de nos valeurs si nous utilisons les mêmes méthodes que les dictatures que nous décrions si facilement ?

Enfin, pour ceux que les débats juridico-politiques et la sauvegarde des libertés ne fascinent plus, il est un fait des plus troublants concernant le passe sanitaire, que le gouvernement présente régulièrement comme la seule alternative à un nouveau confinement. Selon le rapport d'information de la délégation à la prospective du Sénat cité plus haut , l'application singapourienne TraceTogether, la plus proche au niveau de sa programmation de l'application TousAntiCovid , qui a été déployée très rapidement en 2020, avec la mise en place «d'une quarantaine obligatoire surveillée par géolocalisation» n'a pas «permis à Singapour d'échapper au confinement». Plus troublant encore, l'enquête «Spooky Mayfly», « menée par plusieurs grands médias européens portant sur 23 applications de contact tracing, est venue récemment confirmer l'efficacité plus que douteuse de ces solutions […]» dans la lutte contre la pandémie.

Les partisans de ces technologies affirment pour leur part que c'est justement parce qu'elles ne sont pas suffisamment strictes et que les données collectées ne sont pas croisées avec suffisamment d'autres bases de données qu'elles ne sont pas efficaces. Autrement dit, en limitant toujours plus les libertés des citoyens, nous pourrons peut-être gagner en sécurité. Il y aura toujours une nouvelle urgence justifiant ce type de raisonnement qui finit toujours par faire de l'exception la nouvelle norme. Le passe sanitaire a ainsi de grandes chances de devenir permanent. En effet, le Covid ne disparaîtra sans doute jamais complètement de nos vies comme le virus de la grippe par exemple. Olivier Véran sait cela parfaitement. Ce qui lui permet d'affirmer paisiblement que le passe sanitaire sera prorogé «si le Covid ne disparaissait pas de nos vies».

Ce préalable, ce premier modèle ainsi créé et testé pourra servir à d'innombrables nouvelles applications visant à répondre aux urgences du moment : sanitaires d'abord mais aussi terroristes, chimiques, migratoires, nucléaires, environnementales, etc. Le monde qui vient deviendra donc celui de l'autorisation préalable et de la catégorisation numérique des populations : sain/pas sain, bon citoyen/mauvais citoyen, respectueux des normes/non respectueux et finalement partisan/opposant… Derrière celui, déjà considérable, de la liberté, c'est un enjeu plus grand encore qui se profile : celui de notre humanité commune…


VOIR AUSSI – «Si le Covid ne disparaissait pas de nos vies», le passe sanitaire pourrait être prolongé au-delà du 15 novembre, craint Olivier Véran

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