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L'Action nationale - L’État social nécessaire à l’indépendance

Dans leur ouvrage publié en 2021, Brève histoire de la Révolution tranquille, les historiens Martin Pâquet et Stéphane Savard nous apprennent que le 16 février 1983 marque la fin de la Révolution tranquille. C’est le jour où le Parti québécois au pouvoir adoptait la loi 111, qui annulait les gains salariaux accordés aux employés du secteur public et parapublic lors de la dernière négociation, et forçait le retour au travail des professeurs des cégeps et des enseignants des écoles du secteur public. L’éditorialiste du Devoir, Lise Bissonnette, la qualifia de « loi d’exception la plus odieuse jamais déposée à l’Assemblée nationale » (Le Devoir, 16 février, 1983) parce qu’elle suspendait des articles de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne.

Cette date oubliée marque aussi le début du long déclin du Parti québécois entrecoupé de quelques regains de ses signes vitaux à l’occasion.

La récession de 1981-1983 vient d’accroître le déficit public de façon substantielle et en septembre 1982, le président du Conseil du Trésor, Yves Bérubé, rappelle que les ressources de l’État ne sont pas illimitées. Dans Le Devoir du 23 septembre, il convie la population à faire de pénibles constats. Le Québec vit la pire récession depuis la crise des années 1930 et dans ce contexte, il supplie les syndicats d’accepter la rigueur des offres salariales faites par le gouvernement. Le cabinet du premier ministre Lévesque est divisé entre les ministres économiques et les ministres sociaux, (Martine Tremblay, 2006). Pour les premiers, il faut rendre l’État québécois moins lourd, pour les seconds, la question de la justice sociale doit rester intégrée à la question nationale.

Cette récession avait été provoquée par la Réserve fédérale américaine qui avait mis fin brutalement à l’inflation sévissant depuis le début de la décennie des années 70. Elle avait haussé les taux d’intérêt au-dessus de 20 %, provoquant une sévère récession mondiale et un chômage stratosphérique.

Le Parti libéral du Québec remporte l’élection de décembre 1985. Plusieurs de ses membres influents sont déjà engagés, depuis la publication du rapport de la Commission royale sur l’union économique et les perspectives de développement du Canada (commission Macdonald), dans l’application de sa proposition de réduire le rôle de l’État et de signer un accord de libre-échange avec les États-Unis. Par l’entremise de leur parti politique, ils tentent d’implanter ces recommandations au Québec, sans grand succès dans l’immédiat, car leur chef, Robert Bourassa, craint instinctivement un tel bouleversement. Privatiser, déréglementer, réduire la taille de l’État, l’humeur du capitalisme mondial désire revenir au jeu de base, celui de laisser jouer librement les lois de l’offre et de la demande et abolir toutes entraves imposées par l’État social. On vient de changer de paradigme, mais pour Bourassa, c’est trop.

Curieusement, c’est Bernard Landry, ministre au Commerce extérieur dans le deuxième gouvernement Lévesque qui fait preuve de plus d’enthousiasme. Non réélu aux élections de 1985, il se porte volontaire pour devenir un défenseur de l’idée du libre-échange. Il y voit la possibilité pour un Québec indépendant d’avoir accès à un gigantesque marché de 255 millions de consommateurs et il en fait la promotion comme s’il s’agissait d’une vertu salutaire pour réaliser l’indépendance du Québec. Landry ne voit pas qu’il ne s’agit pas du même libre-échange qui l’a tellement fasciné en Europe. Cette nouvelle version ne couvre pas seulement les marchandises, mais également les services, les achats des gouvernements, l’agroalimentaire, la protection des brevets des multinationales et le droit aux entreprises de poursuivre les gouvernements.

Jacques Parizeau partage également à cette vision. Pour lui, redoutant la « mauvaise humeur du Canada anglais, un tel accord avec les États-Unis protégerait le Québec d’éventuelles représailles commerciales à la suite d’une déclaration d’indépendance. C’est que l’accord de libre-échange qui vient d’être signé avec les États-Unis et qui s’élargira au Mexique (ALÉNA, 1994) est doté de ce qu’on appellerait en langage informatique un virus dont la fonction est de remettre en question l’État social, socle sur lequel le mouvement indépendantiste s’est érigé pour créer l’État-nation Québec. Parizeau reconnaîtra son erreur en 2009 dans son livre La souveraineté du Québec. Hier, aujourd’hui et demain.

L'Action nationale - L’État social nécessaire à l’indépendance

Selon le sociologue allemand Wolfgang Streeck (2014), l’État social est le produit d’un compromis conclu au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale entre le Capital et le Travail. En 1945, le monde capitaliste est fragilisé. Les États-Unis partagent la victoire contre le régime nazi avec l’Union soviétique à qui l’on a concédé de diviser l’Europe en zones d’influence. Au cœur même de la zone d’influence américaine subsistent d’importantes organisations communistes qui ont joué un rôle important dans la victoire en Grèce, en Italie et en France. Les pays scandinaves ont un voisin puissant à leur porte, l’Union soviétique, qui suscite la curiosité des classes populaires. La social-démocratie s’y développe plus que partout ailleurs. Dans ce contexte, les gouvernements se doivent d’adoucir le capitalisme en adoptant les mesures que proposait l’économiste britannique John Maynard Keynes au temps de la Grande Dépression.

Selon ce dernier, l’intervention de l’État est nécessaire pour stimuler l’initiative privée en économie même si le capital conserve le rôle principal. En période de ralentissement, l’État peut se permettre des déficits qui seront comblés une fois que l’économie aura été relancée. Le but est d’atteindre le plein emploi et à la fin de la guerre, comme personne ne voulait revivre le cauchemar du chômage de la crise des années trente, les gouvernements acceptèrent de soutenir la consommation en allouant des ressources pour l’assurance-chômage et l’assistance sociale.

Selon Streeck, ce fut l’élément principal du compromis de l’après-guerre entre le Capital et le Travail, car il permettrait une croissance économique continue, des augmentations de salaire automatiquement indexées au coût de la vie, des conditions de travail constamment améliorées et l’ajout régulier de nouvelles protections sociales. C’est ce qui permit l’apparition d’un phénomène nouveau : l’interventionnisme de l’État dans l’économie. Au Canada, c’est le gouvernement fédéral qui prit l’initiative, mais Duplessis résista à un tel empiétement des juridictions provinciales, provoquant ce long délai à l’origine de la Révolution tranquille… qui donna naissance au Parti québécois.

Puis, au cours de la décennie1960, l’élite mondiale entreprit de le discréditer, car elle ne voyait plus l’intérêt de continuer à se conformer à ce compromis historique d’après-guerre. Elle refusait, désormais, de consentir à ce que l’État puisse redistribuer la richesse et intervenir en faveur du bien commun. Elle réalisait que c’est elle qui finançait cette prospérité qui permettait aux classes populaires de la contester. Mais surtout, vers la fin des années 1960, la baisse des taux de rendement sur leurs investissements leur rappelait fâcheusement les lois fondamentales du capitalisme.

Streeck renverse donc sens dessus dessous l’explication de la crise qui survint. Ce n’est pas le peuple qui abusa de la démocratie en demandant constamment des investissements sociaux qui auraient fait augmenter les dépenses de l’État, mais ce sont plutôt les détenteurs du capital qui refusèrent de payer ce qui aurait dû être leur part correspondante à la croissance de la production. Cette renonciation des États à les imposer fit de l’État social, redistributeur de la richesse, un État endetté. En fait, les détenteurs du capital n’avaient jamais accepté ce compromis d’après-guerre. Ils saisirent toutes les occasions possibles pour se sortir de ce carcan qui leur imposait des contraintes sur la fixation des salaires, l’obligation de contribuer aux politiques sociales, l’accroissement de l’offre de travail et les avantages sociaux d’entreprises auxquels ils avaient jadis consenti. Leur intention était d’effectuer un retour radical au libre marché que tous croyaient d’une époque révolue. Personne ne pouvait imaginer, au début de la décennie quatre-vingt, qu’un jour on reviendrait à une économie de marché de plus en plus libre. Encore moins le Parti québécois qui devait sa naissance à l’arrivée tardive de l’État social au Québec.

Celui-ci reprit une vigueur certaine sous la direction de Jacques Parizeau qui vit l’opportunité de tenir un second référendum. Toutefois, Lucien Bouchard devenu chef du Parti québécois, trois mois après la victoire du Non, fit preuve d’une grande habileté politique dans son discours d’assermentation en utilisant la question nationale comme levier pour réduire les dépenses de l’État. En fait, il reprenait le discours néolibéral de l’austérité : les finances publiques sont dans une situation difficile et chaque déficit accroît la dette qui limite les capacités de l’État. Il employa une image rassurante : « donner une bouffée d’oxygène » aux contribuables sans augmenter ni impôts ni taxes de vente dans le but de « desserrer la camisole de force » et retrouver une « marge de manœuvre ». L’atteinte de cet objectif permettrait de faire la souveraineté sur des bases plus solides et « plus modernes ». Il est à l’origine de l’image du budget familial utilisée pour traiter la question de la croissance de la dette publique. Toutefois, les sondages ont montré que les femmes ont été les premières à décrocher de son régime d’austérité, confirmé par la grève des infirmières en 1999.

Au moment de prendre le pouvoir en 2003, Jean Charest avait le chemin libre devant lui. Son intention de hausser les frais de scolarité en mars 2010 ne démontrait aucune ouverture de compromis envers les milieux universitaire, syndical et étudiant. Il procéda tout simplement à l’exécution de ses intentions de hausser de 75 % les droits de scolarité à compter de septembre 2012.

Le Parti québécois manqua sa chance une fois de plus de renouer avec ses origines. La première ministre Pauline Marois accorda un appui mitigé aux étudiants en rappelant qu’il fallait d’abord créer la richesse avant de la distribuer. Elle ne faisait que confirmer la rupture de cette jeune génération avec le Parti québécois pour qui la croissance illimitée signifie encore plus de destruction des écosystèmes de la planète. La preuve était faite qu’on ne pouvait à la fois vouloir créer un État-nation et réduire le rôle de l’État.

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