Emmanuel Macron cajole les designers français à l’Élysée
Pour la deuxième édition du “French Design 100”, le président a reçu une centaine de designers. Vantant le “formidable esprit français”, il s’est livré à un bilan satisfait de son action en la matière. Qui masque une réalité moins brillante.
Ce n’est pas tous les jours que les designers sont reçus au palais de l’Élysée. Jeudi 20 janvier au soir, ils sont là, réunis par l’association VIA (Valorisation de l’innovation dans l’ameublement), pour la deuxième édition de son « French Design 100 ». Le jury international de ce concours a sélectionné cent projets de designers français, qui auront droit à une promotion autour du monde.
On traverse les salons du rez-de-chaussée avec leurs gros canapés en cuir et leur console en laque rouge : chez les Macron, on aime le style un peu nouveau riche. Les invités arrivent dans la salle des fêtes du palais présidentiel, où prennent place des figures de la profession comme Ronan Bouroullec, Constance Guisset, Mathieu Lehanneur ou India Mahdavi. Quand Brigitte et Emmanuel Macron apparaissent, tout le monde se lève. Le président du VIA, Bernard Reybier, patron des meubles en métal Fermob, prononce un petit discours pour insister sur la dimension historique et culturelle du design français, qui fait appel aux savoir-faire artisanaux et industriels du pays. Il précise que l’industrie française de l’ameublement représente quarante mille emplois.
Le design français, c’est quoi au juste ?
Puis Hervé Lemoine, directeur du Mobilier national et président du jury, lance un court film présentant les projets lauréats, sur une musique très française, mais pourtant largement « inspirée » d’un titre du groupe américain Glass Candy, Warm in the Winter. Le « french design », c’est « ce je ne sais quoi », sussure une voix. C’est « sophisticated and a touch of luxury », « so chic »…
Mais voici qu’apparaît dans ce clip français la guest star, Philippe Starck, qui a fait une bonne partie de sa carrière en Italie car les industriels français ne voulaient pas de lui. « L’esprit français est basé sur la rigueur et l’esprit critique. Nous apprécions la qualité, la vérité, la créativité, cocktail à la fois toxique et positif. Comment exporter le design français dans le monde ? […] Il faudrait que les designers, les créateurs, les auteurs se rappellent leur rôle social », déclare, sibyllin, le dessinateur de chaises en plastique et de yachts pour milliardaires.
@Germiili @metalgearballs how to avoid an aneurysm
— Texas Sun Jan 10 20:53:59 +0000 2021
Y a-t-il vraiment un design « français » ? Par quelle magie génétique ou culturelle les designers français penseraient-ils tous que le design c’est un « je ne sais quoi » de chic et de « luxury » ? N’expriment-ils pas au contraire des points de vue très diversifiés ? Et les Italiens, les Allemands, les Espagnols, les Japonais ne font-ils pas eux aussi preuve d’esprit critique, de rigueur, de créativité ? N’aiment-ils pas la vérité et la qualité autant que les Français ? Et que signifie design français quand des créateurs parisiens travaillent plus avec Copenhague ou Milan qu’avec leur pays ? Peu importe : ce soir-là, tout le monde accepte de vivre dans un univers parallèle où la France devient par miracle le centre du monde du design. Un monde limité au mobilier, au design d’espace et à l’objet, et qui oublie les transports, le numérique, le design graphique, le design des politiques publiques…
Hervé Lemoine reprend la parole. S’il y a quelqu’un en France qui se bat pour le design, c’est lui. Depuis qu’il dirige le Mobilier national, il a beaucoup fait pour réconcilier artisans d’art et designers. Il a fait travailler de très jeunes créateurs, initié une politique d’édition et non plus de pièce unique. Il a ouvert son institution en ne la réservant plus aux palais nationaux, mais en mettant aussi ses compétences au service du grand public. Dommage qu’il ne soit pas ministre de la Culture, il aurait fait beaucoup de bien à ce métier. Roselyne Bachelot, elle, est bien là, au premier rang, mais elle reste silencieuse.
Et voilà le discours tant attendu d’Emmanuel Macron, président de la République française. Lui aussi discerne un « formidable esprit français ». Un esprit très « en même temps », « mariage de Descartes et des romantiques », combinant « méthode et créativité », « amour de l’enracinement et de l’universel ». Il cite une figure historique du design français, Charlotte Perriand : « Le sujet, c’est l’homme, ce n’est pas l’objet. » Et il déclare que le Mobilier national sera désormais le « vaisseau amiral » du design tricolore. La vieille institution doit retrouver l’esprit – français, bien sûr – qui a présidé à sa fondation : la capacité à passer des commandes, à promouvoir des artistes, à inventer, comme l’avait voulu André Malraux, ministre des Affaires culturelles, lorsqu’en 1964 il avait initié l’ARC, Atelier de recherche et de création. Emmanuel Macron le confirme : le Mobilier national a vocation à concevoir des séries pour l’équipement scolaire ou les maisons de retraite.
“Nous continuerons de promouvoir le design français dans le monde.”Nous avons renforcé le lien avec les écoles, poursuit le président français. Nous avons constitué un Conseil national du design pour aider la filière française à se structurer et à répondre aux attentes sociétales, environnementales et économiques. Nous avons développé une stratégie de commande publique pendant la crise sanitaire. C’est peut-être un peu « monarchique », mais Emmanuel Macron « assume totalement ».
Et puis, grâce à Brigitte Macron, l’Élysée en a fait travailler, des designers, depuis 2017. Car Emmanuel Macron s’est placé dans la lignée de ses prédécesseurs, dont il n’a pas rappelé les noms : Georges Pompidou avait confié ses appartements privés à Pierre Paulin. François Mitterrand avait passé commande à Marc Held, Jean-Michel Wilmotte et, déjà, Philippe Starck. Sous le quinquennat Macron, Isabelle Stanislas a refait la salle des fêtes tout en gris doré. Pierre Bonnefille a signé des voilages dorés avec le Mobilier national. Nathalie Junod Ponsard a posé un tapis d’Aubusson bleu et rouge dans l’escalier d’honneur. Et bientôt une nouvelle table, conçue après un concours remporté par des élèves de l’ENSAAMA-Olivier de Serres, sera installée dans la salle du Conseil des ministres. Le président français se réjouit de vivre dans du Thierry Lemaire, du Philippe Starck, de l’Ora Ito, du Patrick Jouin.
Abonné“Le beau au prix du laid” : quand Prisunic rendait le design populaire Sortir 5 minutesà lire« Nous continuerons de promouvoir le design français dans le monde », assure le chef de l’État en cajolant les designers : « Vous avez un rôle irremplaçable pour notre jeunesse. » Car le design, c’est tangible, ce sont « des métiers de sens » qui « ne s’apprennent pas simplement dans les livres ». Le french design, c’est l’art de vivre, le panache, la transmission. Il fait du bien dans une France fatiguée par la pandémie. Et le french président de citer le philosophe austro-allemand Edmund Husserl (1859-1938) : « La maladie principale de l’Europe est la lassitude. » Il faut montrer que le quotidien se réinvente par le beau et par le neuf, que les angoisses sur l’état de la planète se règlent « in concreto ». L’audace et l’invention chasseront les idées rances apportées par les vents mauvais, conclut le président Macron en assignant au design « un rôle éminemment politique ».
Ce n’est pas tous les jours que les designers français ont droit à un discours présidentiel rien que pour eux. Un beau discours, indiscutablement, mais un discours acrobatique : pas facile de brandir le drapeau tricolore tout en déclarant combattre le nationalisme. La création n’a pas de frontière : on aurait aimé entendre cette phrase. Et ce discours ne fera pas oublier que la plupart des designers ont les plus grandes difficultés à gagner leur vie. Être designer dans un pays qui n’a plus d’industrie, dans un pays où la création est si peu reconnue, si mal rétribuée, ce n’est pas simple. Le président Macron aurait pu y répondre en incitant son gouvernement à appliquer les mesures d’aide aux artistes-auteurs proposées en 2020 dans le rapport Racine. Il ne l’a pas fait.
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