Pass sanitaire pour les salariés: ces points qui restent à éclaircir
Jeudi, le Conseil constitutionnel a validé l'obligation de présentation d'un pass sanitaire pour certains salariés mais censuré la possibilité de rompre le contrat des employés en CDD réfractaires. Les employeurs, eux, déplorent un "flou juridique".
Le Conseil constitutionnel a rendu son verdict. Saisis de la loi relative à la gestion de la crise sanitaire, les Sages ont validé jeudi l’essentiel du projet du gouvernement retravaillé par le Parlement, dont l’obligation pour les salariés des établissements recevant du public d’être munis d’un pass sanitaire à partir du 30 août.
Le Conseil a toutefois censuré certaines dispositions prévues pour les employés récalcitrants. Ainsi, les salariés en CDD ou en intérim obligés de présenter un pass sanitaire à leur employeur pour travailler ne pourront pas voir leur contrat être rompu de façon anticipé. Et pour cause, cela aurait entraîné une rupture d’égalité avec les salariés en CDI qui, eux, ne sont menacés que d’une suspension de leur contrat de travail.
Malgré la décision rendue par le Conseil constitutionnel, les chefs d’entreprise sont loin d’avoir obtenu les réponses à toutes leurs questions. Et pour Eric Chevée, vice-président de la CPME (Confédération des petites et moyennes entreprises) en charge des affaires sociales, l’instauration du pass sanitaire dans certains secteurs installe un "flou juridique", avec de nombreux points qui restent à éclaircir.
> Les contrats en CDD suspendus seront-ils prolongés?
Eric Chevée estime que la loi sur la gestion de la crise sanitaire "laisse l’employeur dans une situation très inconfortable", notamment dans le cas où un salarié en contrat court n’aurait pas de pass sanitaire. "Nous ne savons pas comment se passera la suspension de contrat de travail. Le point crucial, c’est de savoir si la durée du contrat sera modifiée du temps de la suspension ou non", a-t-il indiqué.
Autrement dit, un salarié suspendu deux mois le temps qu’il puisse se faire vacciner pour obtenir un pass sanitaire verra-t-il son contrat en CDD être mécaniquement prolongé de deux mois une fois qu’il sera en règle? "C’est très important de savoir cela. Nous attendons des clarifications de la part du ministère du Travail sur ce point", a réclamé Eric Chevée.
Auprès de France info, le patron de la CPME, François Asselin s’interroge lui aussi en prenant l’exemple d’un CDD recruté pour faire face à un pic d’activité: "Si je suspends le CDD, est-ce que le CDD est décalé d'autant? Cela veut dire que lorsque je pourrais réemployer mon salarié, si un jour il est vacciné, je décalerais d'autant le CDD? C'est-à-dire qu'une fois que le pic d'activité serait passé, je devrais employer quelqu'un dont je n'ai plus besoin."
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En revanche, la loi précise que "lorsque le contrat à durée déterminée d’un salarié est suspendu (...), le contrat prend fin au terme prévu si ce dernier intervient au cours de la période de suspension".
> Le salarié suspendu est-il vraiment protégé du licenciement?
Si le Conseil constitutionnel a censuré la possibilité de rompre le contrat d’un CDD après deux mois de suspension, le salarié qui n’apporterait pas la preuve d’une vaccination complète ou d’un test négatif est-il vraiment protégé du licenciement? Pas si sûr.
Certes, les Sages jugent que l’absence de pass sanitaire ne peut constituer une "cause réelle et sérieuse" de licenciement. Mais leur décision ne change pas le fait que le droit commun du Code du travail peut s'appliquer en matière de licenciement, estiment certains juristes, à l'instar de Déborah David, avocate spécialisée en droit du travail.
Le seul défaut de pass sanitaire "n'est pas une cause réelle et sérieuse de licenciement", mais d'autres motifs peuvent être valables, même si les employeurs ne devront licencier qu'en cas "d'extrême nécessité" et "extrêmement bien motiver la décision", a-t-elle indiqué à l'AFP.
Pour Christophe Noël, avocat spécialisé en droit du travail, il n'est "pas sûr du tout que le droit commun s'applique", ce qui crée "une insécurité juridique terrible".
> Quelles conséquences en cas d’impossibilité de reclassement?
En théorie, un salarié non muni de pass sanitaire pourra continuer à exercer son activité si l’employeur est en mesure de le replacer à un poste où il ne sera pas en contact avec le public. Mais dans la pratique, les choses ne seront pas si simples.
Même inquiétude chez Eric Chevée qui rappelle que "dans les TPE et PME notamment, les emplois ne sont pas interchangeables". "C’est très compliqué de replacer le salarié dans un poste qui n’est pas exposé. Par exemple, quand vous avez un chef de salle qui n’est pas vacciné et donc qui n’a pas de pass sanitaire, vous ne pouvez pas le remettre facilement en cuisine, ce ne sont pas les mêmes métiers", ajoute-il, ce qui lui fait craindre "un certain nombre de contentieux". Et "c’est pour cela que nous attendons que le ministère du Travail, dans les décrets qui vont être publiés, sécurise la position de l’entreprise".
> Quelle prise en charge pour les tests?
Un salarié qui refuserait de se faire vacciner pourra toujours se faire tester régulièrement pour poursuivre son activité. Mais les tests antigéniques et PCR deviendront payants à l’automne: 25 euros pour les premiers, 49 euros pour les seconds. Se pose alors la question de la prise en charge.
Pour Eric Chevée, il est "hors de question que les petites entreprises supportent ce coût-là". "D’ailleurs, je ne sais pas si ce sera une dépense autorisée, si ce n’est pas un avantage en nature concédé…", poursuit-il. Directeur des ressources humaines chez L’Oréal et vice-président délégué de l’ANDRH (Association nationale des DRH), Benoît Serre se montre plus nuancé. "Le jour où les tests seront payants, la logique juridique voudrait que l'entreprise prenne en charge le test" à partir du moment où elle "doit donner du temps rémunéré au salarié pour aller se faire vacciner ou tester", estime-t-il.
https://twitter.com/paul_louis_ Paul Louis avec AFP Journaliste BFM Eco
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