Alzheimer : À la découverte d’un village expérimental
Un vent doux qui souffle dans les feuilles des arbres, une odeur de café frais qui flotte dans l’air, le bruit d’une balançoire qui grince sur la place centrale du village, un âne qui braie au loin… ce décor simple et commun n’a pourtant rien de banal. Nous sommes au cœur du Village landais, un projet scientifique pionnier qui entend innover à la fois sur le plan de la vie sociale, de la santé et de la recherche. Inspiré d’un projet développé à partir des années 1990 à Hogeweyk aux Pays-Bas, c’est l’un des rares villages Alzheimer dans le monde.
Initié et porté par le conseil départemental des Landes avec le soutien de l’Agence régionale de santé (ARS) de Nouvelle-Aquitaine, le Village landais Alzheimer a été conçu, tant sur le plan architectural que fonctionnel, pour permettre une prise en charge adaptée et respectueuse des personnes qui souffrent de troubles cognitifs. Il accueille, depuis le 11 juin 2020, 120 villageois de tous âges dans un environnement alternatif, tourné vers l’accompagnement, et débarrassé des signes et symboles de la médicalisation. Le but ? Offrir à ces malades d’Alzheimer une vie qui se veut la plus ordinaire possible. Mais ce dispositif est-il réellement différent des Ehpad classiques ? Quels effets a‑t-il sur le bien-être, les symptômes et l’évolution des malades ? A‑t-il des avantages pour les soignants également ? C’est ce que veut déterminer Hélène Amieva*, psycho-épidémiologiste au Bordeaux Population Health Research Center de l’université de Bordeaux. Car en dépit des apparences, la recherche s’est invitée sur la place du village.
Le Village landais est une expérience unique en France, qui sort les patients du contexte médicalisé et aseptisé des Ehpad et les replace dans un environnement où les lieux, interactions et évènements ont tout d’ordinaire. « L’originalité du projet réside dans le village en lui-même », explique Hélène Amieva. On y trouve des quartiers composés d’habitations, mais aussi des commerces, une brasserie, une médiathèque, une place centrale ainsi qu’un parc ouvert au public invitant à la promenade. Le matin, les villageois vont acheter de quoi préparer leur repas du midi, mangent ensemble, prennent le café sur la terrasse, tissent des liens. Ils vivent un semblant de vie normale, alors même qu’ils sont en perte d’autonomie. « Ici, même si la maladie est omniprésente avec son cortège de troubles cognitifs et comportementaux, et si le personnel médical est constamment aux aguets, le cadre n’a rien de commun avec l’organisation d’un Ehpad », explique la chercheuse.
Le village s’inscrit dans une ambition nationale, concrétisée par la stratégie globale Vieillir en bonne santé 2020–2022 présentée par Agnès Buzyn en janvier 2020. Il s’agit d’améliorer la qualité de vie et le bien-être des malades et de leurs aidants, tout en préservant au mieux les capacités cognitives et pratiques des résidents. Médecins, infirmiers, psychologues, animateurs, gérontologues accompagnent les villageois dans leurs journées… mais ils ne sont pas les seuls. En effet, de nombreux bénévoles interviennent également. Le bénévolat est un élément structurel du village ! Ces volontaires ne remplacent pas les salariés, mais jouent toutefois un rôle essentiel dans l’animation des activités collectives. Ils permettent de multiplier les propositions : activités physiques, artistiques et créatives, jardinage, installations culturelles, lectures…
Bien que le cadre et le personnel inspirent une grande sympathie, le Village landais Alzheimer est-il vraiment un modèle alternatif à l’Ehpad ? Est-il viable et reproductible, et contribue-t-il réellement à la qualité de vie des villageois, à leur participation sociale et à leur santé ? C’est la question à laquelle souhaitent répondre les chercheurs de l’équipe bordelaise d’Hélène Amieva, spécialisée dans l’épidémiologie du vieillissement et les maladies chroniques. La chercheuse et son équipe ont été sollicités par le département des Landes avec l’agrément de l’ARS de Nouvelle-Aquitaine. « Nous nous intéressons aux facteurs psychosociaux qui modulent et déterminent les trajectoires de vieillissement, et les maladies qui lui sont associées. Nous nous demandons également dans quelle mesure les interventions innovantes psychosociales peuvent contribuer à ralentir la perte d’autonomie des personnes âgées, explique-t-elle. Actuellement, nous évaluons les effets réels du village sur les personnes en perte d’autonomie, et la validité des soins. »
Pour évaluer le village mais également le rendre reproductible à l’échelle nationale, voire internationale, plusieurs axes de recherche ont été choisis : participation sociale des villageois, stress au travail des professionnels, sentiment de culpabilité des familles lié au placement de leur proche, et maintien du lien avec leur proche. Pour cela, des indicateurs de santé psychologiques, cognitifs, sociaux et physiques sont régulièrement relevés. La perception sociale de la maladie d’Alzheimer est également analysée. En effet, la vieillesse et la maladie ont des représentations extrêmement négatives dans nos sociétés. Une enquête a été menée auprès du grand public pour apprécier l’image véhiculée par le village, comparée à des établissements classiques. « Certaines représentations de la maladie d’Alzheimer, en particulier la perte d’identité, ou le sentiment de dégoût envers les malades sont moins présents depuis l’ouverture du village. Il aurait donc un impact modeste, mais positif sur les représentations de la maladie », se réjouit Hélène Amieva.
Une partie du projet, menée en collaboration avec des économistes de la santé du Bordeaux Population Health Center de l’Université de Bordeaux, s’intéresse aux intérêts médico-économiques du village pour chiffrer précisément à la fois le coût de la prise en charge (direct et indirect), mais aussi les bénéfices éventuels : certaines hospitalisations en Ehpad pourraient être évitées avec un suivi différent des patients. En suivant au plus près les villageois, il est peut-être possible de diminuer certaines prescriptions médicamenteuses, certaines hospitalisations et les surcoûts associés.
Il faudra encore attendre avant d’obtenir des réponses solides à toutes les questions que soulève ce changement radical dans la prise en charge de maladie. En particulier, évaluer et comparer les bénéfices de ce village expérimental par rapport à un Ehpad classique demandera un temps prolongé de suivi et d’observation. Les résultats sont très attendus, au vu des enjeux : alléger le poids d’une maladie redoutée, dans un contexte plus doux et convivial.
Un reportage à retrouver dans le n°52 du magazine de l’Inserm
Note :*unité 1219 Inserm/Université de Bordeaux, équipe Psychoépidémiologie du vieillissement et des maladies chroniques (SEPIA), Bordeaux Population Health Research Center
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