Rangan Chatterjee, le médecin-star de la télé britannique : « Je rêve de faire du mode de vie, la nouvelle base de mes traitements »
Je suis né dans une famille de médecins, mon père m’a transmis sa passion et ma mère m’a enseigné la médecine naturelle ; j’ai toujours adoré mon métier, mais après plusieurs années d’exercice, je me suis rendu compte qu’avec mes médicaments je soulageais les symptômes mais je ne m’attaquais pas à la racine du mal et n’aidais vraiment qu’un patient sur cinq.
Un événement personnel m’a définitivement fait basculer. Cet hiver-là, en séjour dans les Alpes, j’ai eu très peur : mon fils de 6 mois a fait des convulsions, son niveau de vitamine D et de calcium dans le sang était très bas et il a failli mourir. Si la médecine moderne l’a sauvé en lui administrant en urgence les nutriments nécessaires, personne ne m’a expliqué comment on en était arrivé là, et moi-même je me suis senti coupable : avec toutes mes qualifications médicales, je n’avais pas été capable de prévenir le mal totalement prévisible qui avait failli tuer mon bébé.
Obnubilé par l’idée que le bien précieux de la santé doit s’entretenir au quotidien, j’ai commencé à lire, à me documenter sur la nutrition et les facteurs de santé globale, comprenant que le corps est une machine biologique où tout est connecté. J’ai adopté de nouveaux principes pour moi-même, pour mes enfants et bientôt pour mes patients.
Le diabète, l’obésité, l’hypertension, la dépression... liés à nos habitudes
La relaxation, le sommeil, la nutrition et l’activité physique sont pour moi les quatre piliers de la santé. Si, il y a trente ans, nous traitions essentiellement des affections ciblées avec des antibiotiques adéquats, la nature des maux a changé.
Le diabète, l’obésité, l’hypertension, la dépression, l’insomnie... sont des problèmes globaux en relation directe avec nos modes de vie. Dans mon cabinet de Manchester, où je reçois un public de toutes classes sociales, j’aide mes patients à réviser leurs habitudes.
« Je ne me contente plus de mettre des cataplasmes sur les problèmes »
Un mal de tête, des migraines ? Là où je donnais des médicaments, j’essaie maintenant de comprendre ce qui se passe dans leur vie. Un état dépressif ? Je vais proposer un régime riche en acides gras insaturés, de la méditation et une activité physique plutôt que des antidépresseurs. En guidant vers de petits changements, j’ai réussi à soigner des insomnies, des dépressions, des syndromes de l’intestin irritable, mais aussi des diabètes de type 2, des douleurs chroniques et certains cas de maladies auto-immunes.
Je ne me contente plus de mettre des cataplasmes sur les problèmes. Un patient pompier m’a dit un jour que s’il suivait mes conseils, c’était parce que j’ étais le premier médecin à les appliquer dans ma propre vie.
Une série de télé-réalité
Dans ma famille, nous avons toujours été conscients de notre santé, mais j’ai changé peu à peu ma nourriture pour une cuisine fraîche maison, comme me la préparait ma propre mère. J’ai donné aussi priorité à mes 8 heures de sommeil, en veillant, une heure avant d’aller me coucher, à couper le flux de ma journée. Plus de télé, de Netflix, de travail, d’écran, de lumière,d’appels téléphoniques, mais une routine apaisante du soir : une discussion avec ma femme, un bain, un temps de respiration profonde. Je n’ai jamais pris aussi peu de médicaments.
La bonne santé est en réalité quelque chose de très simple qu’on a rendu complexe. Ce sont des habitudes à retrouver, comme s’asseoir ensemble autour de la table – le rituel français par excellence ! –, au lieu de manger à toute allure chacun de son côté en travaillant... et mal digérer parce qu’on est stressé.
Cette médecine simple mais progressiste a inspiré en 2015, et pour trois saisons consécutives, une série de télé-réalité sur BBC One, Doctor in the House. Un documentaire où je me rends dans des familles volontaires pour examiner leur mode de vie et tenter, en modifiant leur cuisine ou leur rythme de sommeil, d’améliorer leur santé.
« Je suis devenu un bien meilleur docteur »
J’ai passé ainsi quatre à six semaines chez des particuliers pour comprendre leur façon de vivre. Tous étaient suivis médicalement et prenaient quantité de pilules. Je leur ai proposé de travailler à leur bonne santé au lieu de se focaliser sur la gestion de leur maladie. Après la série, tous allaient mieux, 80 % d’entre eux avaient revu leurs habitudes.
@Forkboy_Gaming I have to say @TheXboxMom and here is why, my wife had a terminal illness and mom was always there… https://t.co/B7mxGgG4tz
— chris Auto venne Tue Dec 17 12:38:08 +0000 2019
Pour ma part, je crois que je suis devenu un bien meilleur docteur, plus attentionné, ouvert d’esprit avec mes patients. Je ne leur dis plus ce qu’il faut faire, mais ce sont des partenaires à qui j’offre des options et qui choisissent eux-mêmes leur chemin de retour vers la santé. Je leur dis simplement : « Identifiez le pilier qui est le vôtre, adoptez une pratique et tenez-vous à ça. Tout ce que je préconise est gratuit, sans effets secondaires. Au pire, ça ne bousculera rien, et au mieux, vous changerez votre vie. »
A lire aussi : Neurosciences : notre cerveau peut se soigner lui-mêmeJe m’efforce de trouver des conseils que les patients puissent suivre au sein même de leur vie quotidienne. Par exemple, on sait qu’entretenir sa masse musculaire est l’un des premiers facteurs antivieillissement, et je leur explique comment prévenir la sarcopénie (la perte de cette masse musculaire) sans cours de gym ni équipement, mais simplement en prenant cinq minutes par jour dans sa cuisine pour se muscler et s’étirer. Je fais moi-même ces exercices tous les matins pendant que je laisse couler mon café !
« Aussi important que les fruits et les légumes, je prescris à mes patientes un quart d’heure quotidien de temps pour soi »
Une autre clé de la santé est de réapprendre à garder du temps pour soi. Nous n’avons jamais eu une vie aussi pleine : entre nos mails, nos activités professionnelles, nos enfants, nos vieux parents..., notre stress est toujours au maximum, et le corps paie le prix fort. N’importe quel organe – l’estomac, le cerveau, le dos... – peut en être affecté.
Or, beaucoup attendent l’ordonnance du docteur pour s’autoriser à se relaxer. Je prescris – particulièrement aux femmes, qui écoutent les besoins de leurs enfants et de leur mari avant leurs propres besoins ! – un quart d’heure quotidien de temps pour soi. Pas avec son iPhone, mais dans un café avec un livre, une bonne musique, des copines... C’est aussi important pour votre santé que les fruits et les légumes. Rien que 15 minutes par jour ont fait la différence pour tous mes patients qui ont adopté ce rituel, retrouvant la sérénité et le sommeil.
Pour dormir, exposez-vous à la lumière naturelle
Face à l’épidémie de manque de sommeil, je propose d’arrêter de se battre avec nos nuits, mais plutôt de veiller à notre exposition à la lumière. Pour se recaler sur nos rythmes circadiens, je préconise le noir complet (0 lux) au lit (avec une lumière rouge, favorisant la production de mélatonine, si besoin de veilleuse) et une exposition à la lumière naturelle le jour : 15 minutes en plein soleil (plus de 50000 lux) ou par temps nuageux (plus de 10000 lux).
A lire aussi : Trouver le sommeil des justesNous avons besoin de cette différence d’exposition pour régler notre horloge biologique. Durant une journée enfermée au bureau, vous ne recevez que 500 lux. Aussi, une promenade de 20 minutes au cours de la pause déjeuner, ou, comme moi, une tasse de thé ou de café bue à la lumière du matin d’un balcon ou d’un jardin, vous aidera à augmenter votre dose de lumière naturelle... et à dormir la nuit. Il ne restera plus, une heure avant de vous coucher, qu’à vous couper du monde et des lumières bleues des écrans, pour ne pas bloquer le déclenchement naturel de la mélatonine, hormone du sommeil, et pour faire barrage au stress émotionnel, responsable des insomnies.
Un podcast santé le plus suivi d'Europe
Personnellement, c’est la respiration profonde, apprise au yoga, qui m’aide à débrancher. Mais ce n’est pas facile : méditer est un combat. Entre mes consultations, ma famille, mon podcast à poster chaque semaine [le plus suivi d’Europe dans le domaine de la santé ! ndlr], mes cours, je dois toujours veiller à moduler mon rythme.
Je sais que la méditation modifie les circuits cérébraux, réduit le niveau de stress, améliore le sommeil, la concentration... Régulièrement, je la prescris à mes patients, avec l’aide d’applications comme Headspace ou Calm. Mais elle reste pour moi un vrai travail auquel je dois me tenir chaque matin au lever, sinon je ne trouve pas le temps. Méditer n’apporte pas le calme – un jour, vous êtes paisible, et le lendemain agité de mille pensées!– mais vous donne le temps d’observer vos propres forces, vous rend plus empathique avec vous-même. Si je commence par la méditation, je sais que ma journée sera différente.
A lire aussi : Atteinte d'une hépatite C, elle a vaincu la maladie grâce à la méditationCultiver la gratitude est un autre facteur de bonne santé. Le soir, à table, nous avons un jeu familial. On doit tous répondre à trois questions : « En quoi aujourd’hui ai-je rendu quelqu’un heureux ? Qu’est-ce qu’un autre a fait pour me rendre heureux ? Qu’ai-je appris de nouveau? » J’ai enseigné à mes deux enfants, dès leur plus jeune âge, à s’intéresser au positif – une pratique utile dans ce monde stressé ! –, mais ce jeu d’enfant est constructif pour les parents, car il nous apprend à valoriser le positif dans nos journées.
« Être attentif au positif quelques minutes chaque jour améliore notre santé physique »
Notre cerveau, formaté pour appréhender le danger, nous a protégés pendant des millions d’années en polarisant notre attention sur le négatif de la vie. Aujourd’hui, la science nous montre, au contraire, qu’être attentif au positif quelques minutes chaque jour améliore notre santé physique, émotionnelle, psychologique. Cela peut nous éviter de déprimer et de manger du sucre pour calmer nos émotions. Changer consciemment notre mode de vie va, inconsciemment, changer notre biologie.
Cela a-t-il un lien avec ma culture d’origine hindoue ? En tout cas, je constate qu’en vieillissant je suis intéressé par les choses spirituelles. En Occident, nous sommes marqués par un fort individualisme. Mais si l’on se sent concerné par la santé de la planète, par l’état de la nature, si l’on commence à se soucier des autres, de la gratitude, notre santé ira mieux.
L'enseignement de la faculté de médecine ne répond qu'à 20 % des maladies
Ce que nous apprenons en faculté de médecine est fantastique, mais ne répond plus aujourd’hui qu’à 20 % de ce que l’on voit chez nos patients ; nous avons besoin d’une nouvelle boîte à outils qui fasse du mode de vie la nouvelle base de nos traitements. J’en parle dans les médias depuis des années. C’est ce que j’enseigne aujourd’hui au Collège royal des praticiens généralistes de Londres.
Un millier de médecins y ont appris avec moi, ces dix-huit derniers mois, ce qu’ils n’avaient jamais appris à l’université. Il y a parmi eux des médecins de famille, des cardiologues, des psychiatres, des endocrinologues, venus aussi du reste de l’Europe ou des États-Unis, qui veulent apprendre à accompagner leurs patients autrement. Et retrouver ainsi le goût de soigner.
A lire aussi : Comment se reconnecter à son énergie vitale ?Les médecins d’aujourd’hui sont frustrés non seulement par leur rythme de vie, mais parce qu’ils ne parviennent plus à guérir leurs patients, alors que c’est au cœur même de leur serment... Mon approche progressiste ne parvient pas toujours à inverser le cours de certaines maladies mais règle de nombreux problèmes de fond. Je suis persuadé que la médecine, dans les cent ans à venir, va évoluer dans ce sens, avec l’aide des patients.
La première qualité du médecin, plus importante que sa formation, est d’écouter celui que l’on a en face de soi. Parfois, vous ne pouvez pas aider, mais quand vous écoutez avec attention sans juger, cela a déjà de la valeur. En vingt ans de métier, mes patients m’ont surtout appris la compassion.
5 DATES CLÉS1977Naissance à Manchester, de parents nés en Inde.2001Diplômé en médecine et en immunologie.2008Membre du Collège royal des praticiens généralistes.2015Chroniqueur régulier sur BBC One et BBC News Channel. Inspire la série documentaire Doctor in the House sur BBC One.2019Publie Prenez le contrôle de votre santé. Le nouvel art de guérir, Belfond (à paraître le 17 octobre).
Prenez le contrôle de votre santé. Le nouvel art de guérir, Rangan Chatterjee, éd. Belfond, 2019. Un chaleureux plaidoyer, avec de nombreux exercices comme la respiration 3-4-5, le sport éclair dans sa cuisine ou ma routine du coucher idéale.
drchatterjee.com : « Feel Better, Live More ». Sur le site de ce médecin médiatique, un blog et des podcasts avec de nombreux contributeurs sur la nouvelle médecine du mode de vie.prescribing lifestylemedicine.org Pour suivre à Londres la formation en médecine du mode de vie.
Cet article est paru dans Sens & Santé en octobre-décembre 2019.
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